La destruction du Chêne Morand

Après la Prévalaye, Via Silva ou encore l’OpenSky de Pacé, Rennes Métropole s’est attaqué en avril 2021 à la destruction de 20 hectares de terres agricoles entourant un petit hameau paisible, « Le Chêne Morand », au sud de la commune de Cesson-Sévigné (juste à côté de la Porte de Beaulieu). L’objectif ? Agrandir la Zone industrielle Sud-Est de la ville pour accueillir des activités artisanales semi-industrielles, automobiles, de commerces de gros et de services mais également construire une boucle routière tout autour du hameau où passeront jusqu’à 1700 voitures par jour.

Changement Chêne Morand

Des aspirations locales ignorées

On entend parler d’un projet d’aménagement autour du hameau du Chêne Morand en mars 2010, date de la première réunion publique à Cesson-Sévigné. C’est à cette époque que l’association Chêne Morand se créée. Composée d’habitants du hameau du même nom qui se trouve au milieu de la future zone à aménager, ils ont cherché à encadrer le projet, sans s’y opposer initialement, en défendant pendant plus de 10 ans un développement raisonné de la zone qui garantirait la préservation du cadre de vie, du patrimoine local, des bocages, des zones boisées, de l’activité agricole et de la biodiversité locale[1].

Au fil des réunions, il a été de plus en plus clair que la Métropole n’allait pas donner suite à leurs revendications. Les échanges étaient à sens unique et tous leurs arguments, même les plus conciliants, ont été rejetés (si ce n’est la préservation du patrimoine bâti, qui ne gênait pas de toute manière l’artificialisation des 20ha prévus) « L’évidente participation démocratique que nous croyions au départ n’est qu’une bureaucratie informative »[2].

Malgré de nombreuses contre-propositions constructives[3], une pétition en 2015 pour que la zone reste en zone N (naturelle) dans le PLUi (Plan Local d’Urbanisme Intercommunal)[4], plusieurs articles dans la presse et une lettre à la préfète de Bretagne[5] et à la députée Laurence Maillart-Mehaignerie[6], les habitants n’ont jamais obtenu gain de cause.

Des barrières administratives contournées

En 2017 le dossier est validé par la métropole et le processus d’aménagement prêt à se mettre en route. Heureusement, deux éléments empêchaient encore sa réalisation :

  • Le PLUi (Plan Local d’Urbanisme intercommunal) caractérisait la zone en N (naturelle) et empêche donc tout aménagement ou construction
  • L’expropriation de certaines terres restait bloquée par certains propriétaires qui contestaient le prix proposé

Il semblait raisonnable de penser que le déclassement d’une zone naturelle ne serait pas chose aisée pour la Métropole. Rappelons également que selon les engagements de son Projet d’Aménagement et de Développement Durable (PADD) qui définit le projet métropolitain à l’horizon 2030, la Métropole souhaite « Affirmer la ville-archipel en valorisant les espaces agros-naturels, et en préservant les champs-urbains identifiés au SCoT, en respectant les limites paysagères naturelles ou liées à des infrastructures, en évitant les conurbations urbaines »[7]. La zone entourant le Chêne Morand étant majoritairement classée en « Espaces à dominante agricole et Naturelle »[8] dans le SCOT local, il aurait donc été cohérent que la Métropole la préserve.

Le Chêne Morand - carte SCOT du Pays de Rennes
Le Chêne Morand – Zoom sur la carte du SCOT du Pays de Rennes

Malheureusement tous ces documents et engagements ne sont pas contraignants ou sont modifiables : le SCOT autorise le développement d’une zone économique sur la zone et le nouveau PLUi de 2019 a tout simplement passé la zone de naturelle à urbanisable[9]. Le conseil municipal de Cesson a d’ailleurs voté à l’unanimité en faveur de ce changement, le 27 février 2019.

meme PLUi de Rennes

Comme pour Via Silva, comme pour la Prévalaye, nous voyons encore ici l’incohérence entre les discours et les actes de la Métropole. Des engagements sont pris, des documents ambitieux adoptés, mais la concrétisation semble toute relative.

La « bagatelle » du PLUi contournée, la Métropole s’est attaqué au deuxième point bloquant : l’expropriation. Ce point a entraîné plus de résistance, et ce n’est que début 2021 que le tribunal a donné son verdict en faveur de l’expropriation. La machine s’est alors emballée très vite : la Métropole, avec l’aménageur Territoires (un groupe d’entreprises publiques locales (EPL) dont fait notamment partie la SPLA ViaSilva), a très rapidement lancée les travaux. Fin mars/début avril 2021 le Chêne Morand s’est vu assaillir par de nombreux engins de chantier qui ont ratissé une grande partie des terres naturelles et agricoles autour du hameau comprenant une cinquantaine d’arbres et de nombreuses haies bocagères. Une action d’autant plus dévastatrice pour la biodiversité qu’elle a été faite en pleine période de nidification[10]. Autour du hameau on trouvait renards, écureuils, pies, corbeaux, tourterelles… autant d’espèces dont l’habitat a été détruit.

Les habitants se retrouvent aujourd’hui devant le fait accompli : ils seront bientôt entourés par une zone industrielle ainsi qu’un « ring » routier qui entourera tout le hameau et sur laquelle passeront entre 1500 et 1700 voitures par jour (chiffres de la mairie de Cesson-Sévigné, rapportés par l’association du Chêne Morand).

Des compensations de façade

Territoires, l’aménageur de la ZI a bien entendu prévu des mesures compensatoires pour les 20 hectares de terre artificialisées et imperméabilisées. Il prévoit de planter 1500 arbres, de créer 3 hectares de parc pour faire tampon avec le hameau et « renfoncer la Trame Verte et Bleue », enfin il prévoit également l’installation de jardins nourriciers et de fermes urbaines.

Plan du projet d'agrandissement de la Zone Industrielle Sud-Ouest
Plan du projet d’agrandissement de la Zone Industrielle Sud-Ouest

Rappelons que les collectivités publiques se doivent de respecter la démarche « ERC » pour « Éviter – Réduire – Compenser »[11]. Cette démarche doit obliger les acteurs à penser les questions environnementales en amont de manière à éviter l’artificialisation, sinon la réduire et dans le dernier cas la compenser. Il semble évident ici que l’environnement n’a été pensée que secondairement par rapport au projet de zone industrielle : l’espace consacrée à cette dernière été maximisée, ne laissant qu’une fine bande verte autour du hameau et la conception de la ZI en elle-même ne prévoit rien en faveur de l’environnement (si ce n’est, comme nous allons le voir, des panneaux solaires…).

En ce qui concerne les mesures compensatoires, on ne peut de toute manière pas détruire un espace naturel et le recréer à d’autres endroits. En effet comme l’affirme l’Office Français de la Biodiversité, la compensation ne peut remplacer la destruction d’espaces naturelles[12] : les haies bocagères détruites le resteront et il faudra un temps considérable pour que les arbres plantés et le parc construit par l’aménageur ne puissent remplacer quoi que ce soit. On a également du mal à imaginer comment ces mesures peuvent compenser près de 20 hectares de terres recouvertes de bitumes et de bâtiments.

Il est également important de noter les mesures compensatoires ne prennent pas en compte la perte de terres nourricières, et ce n’est pas quelques jardins et fermes urbaines qui vont compenser la perte de près de 20 hectares de terres agricoles et de l’autonomie alimentaire locale qu’elles pouvaient nous donner.

Enfin, Territoires s’est également fixé comme enjeux « d’inscrire l’urbanisation du site dans une démarche de développement durable via la production d’énergie renouvelable solaire »[13], en imposant la construction de nombreux panneaux solaires sur les futurs bâtiments de la zone. Sur l’une de ces vidéos de présentation, Territoires affirme que ce projet contribuera à lutter contre le réchauffement climatique, par la création d’énergie vertes. À aucun moment cela n’est remit en perspective avec les 20 hectares de terres artificialisées, la terre étant pourtant un capteur de carbone non négligeable (outre ses autres apports)[14].

Comme à Via Silva[15], la Métropole mène une écologique de façade où quelques avantages sont mis en avant pour cacher les pertes. Leur cynisme va jusqu’à présenter, accompagnée d’une musique entrainante, une image aérienne des champs et bocages du Chêne Morand dans leur vidéo de promotion du projet… alors qu’ils les ont presque tous rasés[16] !

Capture d'écran de la vidéo promotionnelle de Territoires
Capture d’écran de la vidéo promotionnelle de Territoires

 

Conclusion

En France l’artificialisation des sols est en progression et est supérieure à la moyenne européenne. Elle a augmenté de 70% depuis 1981 alors que la population n’a crû que de 19%. Elle est faite à 70% sur des terres de bonnes capacités alors que nous avons déjà perdu 21% de la surface agricole utile en France. La Bretagne est la troisième région où l’on artificialise le plus en France derrière la région parisienne et la région Hauts-de-France…

Pour notre autonomie alimentaire, pour la préservation de nos ressources en eau, pour réduire le réchauffement climatique, pour conserver une biodiversité riche, nous nous opposons à ces projets d’un autre temps et dénonçons l’hypocrisie des pouvoirs publics et privés qui les soutiennent.

Nous pensons également au développement de la Bretagne dans sa globalité. Proposer des emplacements supplémentaires d’entreprises dans une Métropole qui concentre déjà énormément d’activités ne va pas dans le sens d’un développement équilibré du territoire breton. Rénover écologiquement des bâtiments dans les communes rurales et périphériques pourrait être une solution beaucoup plus durable pour accueillir des activités.

 

[1] Article de l’association Le Chêne Morand sur la concertation publique de Cesson-Sévigné : https://lechenemorand.wordpress.com/page/2/

[2] Article de l’association Le Chêne Morand sur la concertation publique de Cesson-Sévigné : https://sauvonslechenemorand.bzh/index.php/2019/05/29/sauvons-le-hameau-du-chene-morand/

[3] Article de l’association Le Chêne Morand sur la révision du SCOT : https://lechenemorand.wordpress.com/2014/11/12/novembre-2014-observations-sur-la-revision-du-scot-10-11-2014-par-lassociation-le-chene-morand/#respond

[4] Article de l’association Le Chêne Morand sur la pétition contre le projet de ZI : https://lechenemorand.wordpress.com/2015/07/08/8-juillet-2015-la-petition-remise-au-registre-dutilite-publique-pour-sopposer-a-la-creation-de-la-zac-du-chene-morand/#respond

[5] Lettre de l’association Le Chêne Morand à la Préfère Michèle Kirry : https://sauvonslechenemorand.bzh/index.php/2020/04/26/lettre-a-madame-la-prefete-michele-kirry/

[6] Lettre de l’association Le Chêne Morand à la députée Laurence Maillart Mehaignerie : https://sauvonslechenemorand.bzh/index.php/2020/04/26/lettre-a-madame-la-deputee-laurence-maillart-mehaignerie/

[7] PLUi de Rennes Métropoles : https://metropole.rennes.fr/consulter-les-documents-du-plan-local-durbanisme-intercommunal-plui, p.13

[8] SCOT du Pays de Rennes : https://www.paysderennes.fr/-Calendrier-et-demarche-.html

[9] Carte interactive du PLUi de Rennes Métropole : https://metropole.rennes.fr/consulter-les-documents-du-plan-local-durbanisme-intercommunal-plui

[10] Article sur l’Office Français de la Biodiversité sur l’importance des haies pour la biodiversité : https://ofb.gouv.fr/actualites/en-periode-de-nidification-des-oiseaux-lofb-preconise-de-ne-pas-tailler-les-haies-du-15

[11] Article du Cerema sur la séquence ERC : https://outil2amenagement.cerema.fr/la-sequence-eviter-reduire-compenser-erc-r947.html

[12] Actes du colloque en ligne du 20/11/20, Artificialisation des sols, Eau et rivières de Bretagne, Mikaël Le Bihan, inspecteur de l’environnement à l’Office français de la biodiversité, p20.

[13] Site de l’aménageur Territoires sur le projet de ZI du Chêne Morand : https://www.territoires-rennes.fr/les-projets/chene-morand

[14] Actes du colloque en ligne du 20/11/20, Artificialisation des sols, Eau et rivières de Bretagne, Chantal Gascuel, agrohydrologue à l’INRAE, p.6.

[15] Article d’Alternatiba Rennes sur Via Silva : https://rennes.alternatiba.eu/via-silva-ou-la-contrefacon-ecologique/

[16] Vidéo promotionnelle de Territoires sur l’aspect énergétique du projet de ZI du Chêne Morand : https://www.youtube.com/watch?v=nmdsae0ZjD4